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LE RECRUTEMENT . I 0}
se trouve ‘a proximité risque_d’étre assassiné la nuit
suivante, ou que le premier bateau qui viendra tou-
cher au même endroit, sans rien savoir de ce qui
s’est passé, verra son équipage attaqué avec fureur.
On ne peut pourtant pas dire que les blancs ont
tort dans ce cas-là; leurs lois admettent la liberté
individuelle. et ne se concilieront avec les mœurs des
Canaques que lorsque ceux-ci nous seront définitive-
ment soumis. ]’ai vu des femmes rejoindre, la nuit,
à la nage, le bateau recruteur, suppliant le capitaine
de les garder. Le capitaine se trouvait pris dans 1e di-
lemme suivant: s’il les faisait rejeter par-dessus bord
-ou reconduire a terre en canot, les malheureuses
étaient sûres d'être massacrées pour leur tentative
d'évasion: l’humanité défendait d'en agir AINSI. D'un
autre côté, s’il les gardait a bord, il était certain que
les Canaques se vengeraient sur lui à son prochain
voyage ou sur le premier bateau qui passerait. Que
faire? En vérité l'alternative est pénible. On s'en
tire quelquefois par un artifice bien digne des grands
enfants à qui on a affaire: on repeint le navire a
neuf, de rouge en vert ou de noir en blanc, de façon
à le rendre méconnaissable aux indigènes.
Mais gare au bateau de même couleur qui se ris-
quera peu après dans les mêmes parages
Voici un autre cas dont‘ j’ai eu connaissance: le
capitaine d'un schooner ne voulant pas avoir des
[04 LES NOUVELLES-HÉBRIDES.
désagréments avec une tribu, fit remettre à l'eau,
une nuit, deux femmes venues clandestinement à son
bord pour émigrer; elles se noyérent en revenant à
terre et furent trouvées, le lendemain, le corps lacéré
par les récifs. Les Canaques, convaincus -que ces
femmes avaient été attirées à bord,tuées et rejetéesà
la mer, résolurent de les venger. Le capitaine averti
n'eut plus qu'à mettre à la voile, et nulle part sa vie
n’e'st en sûreté sur cette côte.
Ces malentendus, qui proviennent presque tou-
jours de Pignorance et de la brutalité des indigènes,
ont été dénaturés a plaisir par les humanitaires et les
missionnaires jaloux ‘de représenter les recruteurs
comme d’abominables pirates.
Pour moi, je n'ai jamais constaté que des opéra-
tions très réguliéres dans les recrutements aux-
quels j’ai assisté. S'il y a parfois des exceptions fâ-
cheuses, elles ont toujours été réprouvées par les
capitaines; et d'ailleurs, en cas de conflit, il est juste
de faire la part de la colère que ressent un blanc,
toujours obligé de se tenir sur ses gardes et le plus
souvent attaqué sans motif. Il ne faut pas trop s’é-
tonner si, lui aussi, est pris un jour du désir de
venger quelqu'un des siens traîtreusement assassiné
par les insulaires. On est bien forcé de sefaire jus-
tice soi-même dans ce pays, et- c'est un fait ‘certain
que les Çan-aques tirent toujours les premiers.’
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